La métamorphose d'un homme en scarabée

 

La métamorphose est le changement d’un être en un autre être. Contrairement aux insectes, les humains ne sont pas touchés par une métamorphose brutale. En tout cas, pour ce malheureux garçon dont je ne révélerais pas l'identité, sa vie n’était plus comme tout le monde. Au matin d'une superbe et chaude journée d'été, il se réveilla avec le corps et la taille d’un insecte, une sorte de scarabée monstrueux. Il se crut juste mal réveillé mais la réalité était tout autre. Il pensa cependant devoir se dépêcher d'aller au travail mais dans son état, c'était fichu. Une fois métamorphosé, ce pauvre gars ne pouvait plus se faire comprendre. Il n'émettait que des sons stridents et monotones. De fait, il était coupé du monde et sans le moindre espoir de retour à la normalité. Sa vie était soudainement devenue impossible. Désormais, seule l'idée de disparaître sonnait comme une chance et cette perspective lui semblait si douce qu'il décida pour en finir d'entamer une dernière fois le trajet menant sur son lieu de travail et qui commençait par une attente de plusieurs minutes non loin de chez lui à un arrêt d'autobus. Il devinait que cet endroit lui serait fatal pour avoir eu l'habitude durant les mois passés de patienter en compagnie d'autres usagers. Il avait notamment remarqué que trois jeunes femmes le précédaient toujours et qu'elles se partageaient le banc. Seulement cette fois, c'est lui qui les devança. Il essaya tant bien que mal d'évaluer l'endroit exact au sol qu'il lui faudrait occuper pour arriver à ses fins mais sa taille réduite compliquait cette recherche. Pour être sûr de son coup il décida tout d'abord d'attendre sous le banc en surveillant leur venue.Voilà,les filles arrivèrent et prirent place. Il se trouvait en retrait et apercevait leurs chaussures géantes. Il se rapprocha de l'une d'elle assise jambes croisées et chaussée de sandales à talon. Pas une ne soupçonnait sa présence et le drame à venir. Le talon représentait trois fois sa hauteur. Il le contourna et occupa sous la sandale l'espace entre semelle et talon. Sa fin semblait proche mais encore lui fallait il se glisser sous ce pied? De temps en temps, un mouvement en appui sur le bord de la chaussure dégageait un espace mais insuffisant pour s'y faufiler entièrement avec le risque de n'être écrasé qu'à moitié. Il attendait le moment que la semelle se décolle plus franchement du sol pour se placer en dessous. Cette fois, la chaussure bascula en appui sur son talon et libéra une place idéale, Il avança de quelques centimètres. Le temps cette fois était compté. Il se doutait qu'un mouvement soudain allait l'anéantir instantanément. Ce ne fut pas le cas, la semelle, tel un pont-levis, descendit tout doucement pour s'arrêter à deux centimètres, se stabiliser durant de longues secondes puis repartir en sens inverse.L'écrasement n'avait pas eu lieu, Il avait juste été frôlé. La semelle était toujours en suspens au dessus de lui et repris la direction du sol mais sans la pression nécessaire pour le tuer. Il était bel et bien coincé au point de ne plus pouvoir bouger. Il entendait cette fille discuter avec ses voisines mais elle ne mettait pas tout son poids sur cet appui. Sa respiration devenait difficile, elle ne supposait pourtant pas sa présence. La semelle bougeait sur son corps et s'espaçait de lui très légèrement à plusieurs reprises comme un ultime sursis. La conversation entre ces trois jeunes femmes fut ponctuée d'un éclat de rire et la semelle repris de la hauteur pour aussitôt s'appuyer pleinement et d'une pression incroyable sur le corps de ce malheureux. La fille ne prêta pas la moindre attention à ce qu'elle ressentit pourtant sous sa sandale comme ce craquement après l'effort sur sa carapace, trop absorbée par l'intérêt de la discution. A cet instant, notre ami, grièvement blessé, est aplati sous sa chaussure et à demi conscient. Il resta prisonnier ainsi un long moment jusqu'à ce que cette pression disparaisse d'un coup. En fait, toujours à l'écoute de ses voisines, la jeune femme d'un bref regard au sol décolla de nouveau sa semelle, la pivota légèrement à droite pour constater qu'une bestiole lui semblant répugnante était agitée de spasmes. Elle releva la tête et poursuivit avec ses amies sans interrompre la conversation pour ce fait sans importance. Ayant vu de quoi il s'agissait et n'ayant qu'indifférence pour les insectes rampants, elle reposa son pied sur lui sans le moindre égard pour sa victime. Elle sentit bien une résistance et tourna de temps à autre son pied dessus pour le broyer. Le malheureux n'était plus qu'une dépouille entre sol et semelle. Les morceaux restaient collés sous cette dernière. L'autobus n'allant plus tarder, les trois jeunes femmes se levèrent tout en restant sur place devant le banc. Son pied se tenait toujours sur les restes de cet insecte auquel elle ne pensait déjà plus. Cependant, à l'approche de l'autobus, elle fit un pas en avant et des fragments de la bestiole lui rappelèrent ce qui venait d'arriver durant cette attente. Elle frotta donc très discrètement sa semelle sur le sol pour ôter la gêne des restes du scarabée écrasé sous sa sandale. 

 

Arnaud

Merci à toi pour cette superbe Histoire